Nouvelle mise en ligne une première fois en Novembre 2009
sur l'ex-communauté Utopia (subitement disparue depuis !)
Pestant intérieurement, comme à l’accoutumé, Pierre releva le « machin » avant d’appuyer sur le bouton d’appel de l’ascenseur. Pour la mille et unième fois depuis plusieurs semaines, il fit ce geste machinal… Mais, pour la première fois, cela déclencha en lui un nouveau processus de pensée, quelque chose de ténu et de formidable à la fois, comme une espèce de prise de conscience particulière, la naissance d’une perception nouvelle.
Cela ressemblait à l'orifice béant d'un maelström ténébreux, et effrayant de l'horreur qu'il supposait faire règner, dans la subconscience de Pierre... L'Infini de la métamorphose agonisante de son esprit, aux prises avec l'incommensurable vide de la connaissance humaine, allait enfin devenir et être la salvatrice issue, à l'amène concupiscence de ce chétif résultat de la Création ! Cette fois-là, Pierre, telle une étincelle de vérité éclatant au tréfonds de sa cervelle, comprit et... sut… !
Il y avait une volonté délibérée de lui nuire ! Quelque part, quelqu’un ou quelque chose, inlassablement, cherchait à l’atteindre… Insidieusement, par l’entremise de ce « machin » ! Une banale petite pièce de métal, suspendue à une vis, sur le mur, près de l’ascenseur ! Cela aurait pu être n’importe quoi. Ce n’est en tout cas ce « n’importe quoi là » que Pierre avait imaginé… au début. Sans doute les restes éprouvés par le temps et mes mauvais traitements d’une boîte à clef, de celles dont on se sert pour débloquer un ascenseur en panne ? Ou un crochet de suspension à l’usage d’un extincteur, disparu depuis ? Ou un "truc" où susprendre un écriteau à l'usage de la Concierge du genre : "N'utilisez pas l'ascenceur ce matin, je lave le hall d'entrée" ? Non, tout cela était ridicule. Maintenant, alors que la cabine arrivait, Pierre savait que toutes ces hypothèses étaient farfelues ! Non ! « On » avait placé là cette chose, ce « machin », à dessein… « On » avait essayé, et réussi, à attirer son attention. Incontestablement, cette pièce de métal devait occuper une certaine position. « On » s’obstinait, chaque jour, à la bouger, afin que lui, Pierre, la remette à sa place !
Il lui vint une idée qu’il trouva géniale. Ceux, ou celui, qui cherchaient à l’atteindre en seraient pour leurs frais, cette fois-ci ! Il ne touchera plus au « machin ». Il prit place dans la cabine de l’ascenseur et choisit de programmer le rez-de-chaussée…
Rien ne se produisit. Pierre appuya de nouveau sur le bouton, et la porte coulissante se referma… La cabine monta alors, au lieu de descendre !
Arrivé tout en haut, au 13ème étage, l’ascenseur s’arrêta, la porte s’ouvrit, et Pierre se rua comme un fou sur le palier… Mais que se passait-il donc ? Dès que le porte se fut refermé, Pierre pu voir la cabine descendre… sans lui ! Il se précipita dans l’escalier de service, et arriva en sueur au rez-de-chaussée, ayant « dégringolé » les volées de marches à une vitesse dont il ne se serait jamais cru capable !
Le lendemain et les jours suivants, Pierre s’abstint de prendre l’ascenseur. Le « machin » était toujours à sa place, immobile, muet comme s’il se taisait volontairement, envoyant une supplique mentale à Pierre pour qu’il le touchât… Mais Pierre tenait bon. Ah, ce n’était pas tous les jours facile ! Il dormait mal la nuit, maneait de moins en moins… Au matin, il bâclait son petit déjeuner, pour finir par ne plus le prendre du tout. Au bureau, il était là, mais « absent ». Ses collègues comprenaient sans doute qu’il était perturbé par quelque souci, mais ne lui montraient, au début, qu’un intérêt poli, très courtois. Mais ses performances professionnelles commençaient à fléchir, pour arriver à une descente vertigineuse ! Pierre ne pouvait plus se concentrer comme « avant le machin »… Puis, ce qui devait arriver arriva ! Pierre fut convoqué devant la Direction de la Société qui l’employait. Il n’osa, bien évidemment, pas avouer qu’il était devenu obsédé par le « machin ». Il évoqua une fatigue passagère, des soucis familiaux, et autres "excuses-toutes-faites" dont il ignorait même les formulations, tant il n’avait jamais eu à y penser !
Et, chaque matin, en sortant de son appartement, il voyait le « machin »… Cet objet semblait doté de vie et porteur de mort. Pierre s’attendait d’ailleurs à le voir ou plutôt l’entendre parler, rire et se moquer de lui !
Un jour, comme les autres, cela se produisit… Pierre ouvrait la porte palière donnant accès à l’escalier, quand il entendit un rire énorme dans la hall ! Il dévala les 13 étages comme un damné qui aurait voulu fuir l’Enfer. Arrivé dans la rue, il s’adossa contre un mur afin de reprendre son souffle.
Ce soir-là, il rentra plus tard chez lui, pour se faufiler dans son appartement dans le noir ! Et, lorsqu’il tira délicatement sa porte pour la refermer sur lui et sans bruit, il entendit le rire monstrueux résonner sur le palier !
Pierre ne put fermer l’œil, cette nuit-là ! Couvert de ses draps et couvertures jusqu’au menton, il gardait les yeux grands ouverts, toutes les lumières de son appartement étant restées allumées. Il épiait le moindre bruit suspect, le moindre signe de mouvement sur le palier du 13ème étage de l’immeuble.
Au petit matin, les yeux rougis de fatigue, il osa sortir de son lit. Son premier geste fut, à pas feutrés, d’aller jeter un coup d’œil par le judas de sa porte d’entrée ! Le hall était sombre, et il ne put rien distinguer, pas même le « machin » !
Les serrures de la porte une fois revérifiées, il put aller se faire chauffer une grande tasse de café. Vautré dans le canapé du salon, il but le breuvage à petites gorgées.
A une heure qui lui parut « raisonnable », il appela Jean, un de ses amis les plus proches, au téléphone. Après quelques dizaines de mots bafouillés, il eût le courage de lui raconter sa mystérieuse mésaventure…
« Voilà, tu sais tout !
- Ecoute, Pierre – lui conseilla Jean – tu es sûrement à bout ! As-tu des ennuis de boulot ?
- Non, non ! De ce côté-là, cela va encore !
- Comment cela, encore ?
- Bon, j’ai reçu un petit sermon de ma Direction…
- A cause de « çà » !?
- En quelque sorte… Au bureau, je suis un peu « absent » et ne peux plus continuer à être performant. Tu sais bien comment cela se passe, dans ce type de petite société ? Ou l’on est rentable, ou l'on est… remercié. Surtout avec la conjoncture actuelle !
- Ecoute, Pierre, va donc voir un médecin ! Fais-toi donner quelques jours de repos…, un traitement ?
- Oui, je pense que c’est cela qu’il faut que je fasse. Je vais aller consulter mon toubib, et il saura bien ce que je dois faire… »
Pierre se rendit donc, dans l’après-midi, chez son médecin qui commença sa visite de façon toute routinière…
« De quoi souffrez-vous ?
- De rien, Docteur…
- Mais ?...
- Mais je ne dors plus et ne peux plus me concentrer sur mon travail !
- Ah, et la cause, de votre point de vue ?
- Je ne sais si je dois vous raconter cela…
- Je suis votre médecin, alors, je vous en prie, vous pouvez tout me dire ! »
Alors Pierre se mit en devoir de raconter son histoire. Il lui fallut bien parler de la « chose »… Quand il eut fini, le médecin lui enjoigna de ne vraiment rien omettre.
« Je vous ai tout dit, Docteur !
- Oui, mais, qu’est-ce qui, toujours d’après vous, est à l’origine de votre obsession ? Comment un simple petit morceau de ferraille cloué sur un mur a –t-il pu vous mettre en pareil état ?
- Je ne sais pas, Docteur, je ne sais pas…
- Ecoutez, voilà ce que nous allons faire. J’ai déjà rencontré bien des cas similaires dans ma carrière… Je vais vous adresser à un de mes amis, spécialiste des problèmes psychiques.
- Pas chez un Psychiatre !
- Laissez-moi donc faire. Je vous assure qu’il n’en sortira que du bon ! »
Quelques jours passèrent, et Pierre se retrouva entre les mains dudit Psychiatre. Celui-ci trouva un intérêt très personnel au « cas » de Pierre... Finalement, Pierre ne sortit plus d’entre les mains du Spécialiste ! Les semaines, les mois passèrent ainsi, de cabinet en traitement, de traitement en cabinet… L’état de Pierre, en fait, empirait. D’être considéré comme fou lui avait fait réellement perdre tout contact avec la réalité. Aux médecins et autres infirmières qui le « soignaient », il ne parlait plus que du « machin ». Une fois, on l’avait même emmené dans le hall de son immeuble, afin qu’il voie de ses propres yeux que ce « machin » était quelque chose de banale, d’aucun intérêt… Pierre n’avait même pas supporté de revoir le « machin » ! Il avait tenté de fuir, maintenu par les bras musclés de ses infirmiers, en vain… Le psychiatre, en accord avec le milieu médical, avait décidé que Pierre était atteint de schizophrénie incurable. La petite psychose, de ce dérangement qu’elle était au départ, s’était transformée en trouble grave et durable.
Pierre ne sortit plus jamais de la clinique où il était désormais prisonnier. La Société qui l’employait avait définitivement ventilé son poste et l’avait donc confié à quelqu’un d’autre. Pierre ne vit plus beaucoup de monde, à partir de ce jour-là… Sauf son ami Jean, qui, après plusieurs mois, lui rendit une visite, quand celle-ci fut autorisée.
« Pierre, tu me reconnais ?
- Jean ? Oui, bien sûr…
- Alors, mon vieux, comment cela se passe-t-il ici ?
- Ecoute, Jean, je n’ai pas le temps de te dire toutes les misères que l’on me fait. Je voudrais simplement que tu ailles chez moi, et que tu récupères quelques unes de mes affaires !
- Mais, mon pauvre Pierre, ton appartement a été loué à un autre locataire ! Et tes affaires ont été données aux associations caritatives du quartier !
- Mais…mais…
- Allons, ne te fais de soucis pour ces babioles. L’important est que tu sois bien traité et soigné, ici !
- Jean, ce n’est pas possible… Je vais sortir d’ici ! Dis-leur, toi, que je ne suis pas fou ! »
Jean eut bien du mal à franchir la porte de sortie de la cellule où Pierre était enfermé. Mais, au sortir de l’établissement médical, malgré la mal-être dans lequel il se trouvait, il décida, comme cela, de passer voir l’immeuble où Pierre avait eu son appartement. De plus, c’était pratiquement sur son chemin…
Arrivé dans le bâtiment, Jean se mit en quête d’aller appeler l’ascenseur. Mais ce dernier était en dérangement. Il prit donc les escaliers et grimpa les 13 étages… Lorsqu’il fut arrivé au 12ème, il perçut la conversation de deux personnes, apparemment situées à l’étage au-dessus :
« Bonté, dit l’un des deux, voilà un ascenseur qui nous aura donné bien des soucis, depuis la dernière révision !
- Pour sûr, répondit l’autre, il était vraiment « détraqué » ! Pourtant, nous l’avions remis à neuf il y a tout juste quelques mois…
- Oui, et d’ailleurs, lorsque nous avions changé la porte de cet étage-ci, je m'aperçois que tu avais oublié de retirer, après que nous l’ayons scellée, une des petites pattes de maintien, qui est toujours vissée sur le côté !
- Une patte ! Où cela ?
- Là, regarde, c'est ce « satané machin » !