A celles et ceux qui ne l'avaient pas lue...
J'ouvris la bouche une dernière fois, pour essayer d'arracher au sort une ultime chance de ne point succomber. La lutte était inégale et les forces me manquaient maintenant pour refaire le chemin vers la vie, vers ma ...résurrection.
J'avalai une immense bouffée d'air et sentis alors une douleur infinie monter crescendo le long de mes entrailles torturées, pour aller hurler jusqu'au plus profond de mon cerveau. Je me vis, l'espace d'un instant, courir comme un fou dans un interminable couloir de pierres, sombre et glacial, résonnant de mes cris d'effroi... Je courai, dément formidable poursuivi par l'horreur inéluctable de ma fin prochaine, tentant à chaque foulée de ne pas me laisser happer par la monstrueuse ignominie. Le vacarme étourdissant croissait au rythme des battements de mon coeur, de ses derniers battements, amplifiés à l'extrême dans ma tête, coups de semonce imperturbables.
Je sus alors que je cédais, que je devais céder. Ma raison l'emporta sur mon instinct tenace. Mon esprit ne s'estimait pas, je ne m'estimais plus solidaire de mon corps, définitivement inutile, miné par sa longue agonie. J'ouvris grand les yeux, pour garder à jamais l'image du monde chéri que je quittai, et exhalai en un long soupir, un souffle déjà froid, une manière d'Adieu !
J'étais pleinement maître de mon esprit. Je pouvais me "mesurer", me "sentir". J'étais l'Infini lui-même ! Quelque chose, pourtant, retint mon attention, le sentiment d'être encore là... Un sentiment justifié par le regard que je pouvais jeter par la fenêtre de mes yeux, ouverte sur le monde, étranger désormais, que je venais d'abandonner. Prêtant un peu plus l'attention, je distinguai des sons, des lamentations, des sanglots. Je perçus un visage penché sur le mien. Une peine immense déformait ses traits, mais je fus surtout anéanti d'y reconna!tre ceux de mon épouse ! Je hurlai mon amour, mon désespoir, mais aucun son ne sortait plus de mes lèvres. Tout mon être, ou mon non-être, criait ma souffrance et mon impuissance.
Je maudissai le Créateur du mauvais tour qu'Il me jouait, qu'Il jouait aux Hommes... Etait-ce là le Châtiment Suprême, l'Enfer, la Damnation éternelle ?
De sa main frémissante, mon épouse baissa mes paupières et murmura un "Adieu mon chéri" qui résonna en moi comme un chant merveilleux, une musique d'outre-bonheur qui se vrilla dans ma mémoire, supplice démentiel qui m'accompagnerait dans mon long voyage vers l'inexistence... Je ne vis ni n'entendis plus rien à partir de ce moment-là !
Mon esprit enfiévré se prit à douter. Et si je n'étais pas mort ? Si la mort ce n'était pas réellement cela ? N'étais-je pas simplement en une quelconque catalepsie ? Paralysé par Dieu sait quelle force maléfique ? N'allait-on pas me mettre en terre VIVANT ? Il faut que l'on sache !
Le tumulte cessa alors, et j'eus l'impression de flotter, dans un silence ouaté, libérateur et énivrant ! Je compris que je venais de mourir... Comme cela, sans explication superflue. Je sais maintenant que l'on connaît l'instant. de sa mort..... Pas de perte de conscience !
Je suis VIVANT, à l'aide ! Aidez-moi, sortez-moi de là !
Mais non, efforts vains, à quoi bon ? Je ne peux pas me faire entendre, je dois absolument me faire à cette idée que je ne suis plus de ce monde, de LEUR monde.......... Autre chose, ailleurs !
Combien de temps, mais le Temps existe-t-il toujours pour moi, restais-je là, dans l'obscurité de ma détresse, à essayer de comprendre la vérité de ma situation ? La mort, était-ce donc cela ? Un pallier entre deux états ? Etais-je en "transit" pour un Univers différent ? Pour le Néant peut-être ? Pur esprit, prisonnier pour l'éternité d'une enveloppe charnelle vidée de toute vie, je resterai jusqu'à la Fin des Temps avec une question pour seule compagne de voyage : POURQUOI ?
Je deviendrai, je suis déjà, dans la plénitude de mon être, cette question même, réponse assimilée aux données impénétrables du problème, équation sans inconnue, et sans critères reconnaissables, dont l'unique valeur mesurable est l'abîme de perplexité où je me débats, chétif produit de l'Evolution, Merveille de la Création, extraordinaire entité spirituelle effarante dans son inutilité...
Des sons parviennent encore à mes "sens", si je peux nommer ainsi cette perception curieuse des bruits. On murmure autour de ma dépouille. Je reconnais certaines voix, d'autres me sont parfaitement inconnues... Un homme, à la voix douce mais ferme, explique à une femme en pleurs la nécessité de s'éloigner de moi, pour refermer maintenant le "couvercle", argumente-t-il !
Un choc sourd suit, qui étouffe irrémédiablement sanglots et paroles dont je suis dorénavant privé ! C'est fini ! Acta est fabula !
Le rideau est tombé... Les temps innombrables vont accueillir en leur sein le pitoyable acteur de cette tranche de vie que fut la mienne. La solitude éternelle ne m'effraie nullement, les heures écoulées depuis ma ...mort m'ont finalement doté d'un solide stoïcisme. Je vais avoir du temps pour comprendre ce à quoi je n'ai jamais vraiment réfléchi : est-ce la matière qui crée l'esprit, ou l'esprit qui engendre la matière ? Vaste et éternel débat entre les tenants du Matérialisme et ceux de l'Idéalisme ! Mais, y a-t-il seulement une réponse, et nous est-il permis de la connaître ? Je verrai bien ! Je vais savoir... Je repose en paix !