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10 août 2010 2 10 /08 /août /2010 10:55

Les Chants mêlés

de P.F.J.

 

Chant I

Premier Couplet

 … Les derniers jours du Printemps fuyaient déjà sous les chaleurs de l’été tout proche. La Nature éclatait sous la poussée millénaire des sèves nouvelles. Une profusion de boutons et de fleurs aux senteurs fraîches, maculait toute chose, dans les pépiements d’oiseaux dont les théories aériennes zébraient le ciel toulousain, en arabesques fugitives et presque irréelles.

 

Dominique était accoudé au balcon de son petit appartement. Il écoutait, avec un plaisir sans égal, le long écoulement du temps, ce temps qui le séparait encore des vacances. Deux moineaux vinrent s’ébattre devant lui, dans les ramures d’un tilleul. Il sursauta, tiré de sa rêverie par les ébats amoureux des petites créatures. Il sourit à les voir faire… Il eut un fugace sentiment de jalousie à leur endroit, lui qui ne pouvait s’envoler, comme eux, voir de haut à quoi pouvait ressembler le Monde. Instinctivement, il sortit une cigarette du paquet qu’il tenait à la main, et l’alluma en lançant son briquet. Les deux moineaux s’enfuirent alors, et Dominique les suivit longtemps des yeux, jusque dans l’arbre voisin.

 

Une voix, dans son dos, le ramena vers une réalité qu’il avait un instant déserté. Elisabeth, son épouse, lui rappelait qu’il commençait à se faire tard, et qu’il aurait à se lever tôt, le lendemain. Le soleil venait à peine de se coucher, et Dominique serait bien resté un petit moment encore, le nez en l’air, projetant ses pensées les plus intimes au-delà de son propre univers, quotidien et monotone. Il pensa qu’il aurait pu confier ses rêves aux oiseaux, afin qu’ils se réalisent peut-être sous d’autres cieux !

 

C’était sa dernière semaine de travail. Ensuite, Elisabeth, Gérard leur fils et lui-même prendraient des congés bien mérités, loin de la foule et du bruit. Cette année, ils avaient projeté de partir en Bretagne. Si l’été pouvait être aussi beau que le Printemps l’avait été, ce serait magnifique. Mais allez donc savoir le temps qu’il peut faire en Pays breton, un mois de Juillet. A priori, il pouvait être convenable, même si peu chaud. Dominique y avait séjourné souvent, et rarement il avait subi une pluie permanente ! Cela, c’était une légende… de son point de vue. On verrait bien. De toute façon, tout était décidé et organisé. Ils avaient retenu une petite villa en bord de mer, à Bénodet… On lui avait dit tant de merveilles sur l’endroit, qu’il lui semblait presque y être déjà allé !

Comme à regret, il recula pour rabattre sur lui les volets et battants de la fenêtre. Ecrasant son mégot dans un pot de fleurs, manie dont Elisabeth avait une « sainte horreur », Dominique se dirigea vers la chambre à coucher où il commença à se dévêtir. Nu comme au premier jour de sa vie, il entra dans son lit et se recroquevilla, tournant ainsi le dos à son épouse.

« Tu dors déjà ! Sans même me dire Bonsoir ?

-              Non, non, je ne dors pas, je réfléchis…

-              Tu réfléchis à quoi, chéri ?

-              Bof, je me disais que s’il n’y avait pas les vacances, la vie ne serait terriblement excitante !

-              Voilà des banalités auxquelles tu ne m’avais pas habituée… As-tu un problème ? Veux-tu que nous en parlions ? »

 

Dominique ne répondis pas. Se tournant sur un coude, il déposa un léger baiser sur les lèvres d’Elisabeth, lui murmurant un « Bonne nuit » que lui-même eût du mal à entendre…

 

Chant I

Deuxième Couplet

A quoi bon discuter de son vague à l’âme ? Sans doute lui-même n’en connaissait-il pas la cause. Il en va de ces choses-là comme de ces maux mystérieux qu’on ne sait pas encore guérir. En fait, Dominique avait le sentiment qu’il manquait quelque chose à sa vie, mais quoi ? Il avait une femme, belle et intelligente, un fils, Gérard, né quelques années après leur mariage, et dont il ne pouvait qu’être fier. Et il l’était d’ailleurs ! Naturellement, il ne manquait de rien. Elisabeth et lui avaient tout acheté, juste avant la naissance de Gérard, dont ce douillet appartement dans le Centre-ville de Toulouse. Et, fait exceptionnel dans ce quartier-là, ils avaient une vue splendide sur un grand jardin public, ce que beaucoup de gens leur enviaient.

Elisabeth ne travaillait pas en dehors de chez elle. La petite entreprise, où Dominique occupait un rôle important, leur assurait une vie confortable, voire même « petite-bourgeoise » ! Il était Sous-directeur, en la Section Commerciale d’une PME de Chauffage central et Conditionnement d’air. Une entreprise dont la renommée commençait même à dépasser les frontières de la Région. Elle décrochait des marchés sur quasiment tout le territoire Français.

 

Dominique, qui n’avait pas eu le loisir de faire des études universitaires, était arrivé, comme on dit « à la force du poignée », à se faire une situation. Il était un peu la fierté de sa famille, modeste, de milieu ouvrier. Son Père avait été mineur à Carmaux, et coulait maintenant des jours heureux avec sa Mère, dans un petit pavillon qu’ils avaient acquis en banlieue. Ils vivaient « à la campagne » ainsi qu’ils aimaient le dire …  En réalité, il ne restait du cadre bucolique d’origine, que leur jardinet. Tout, alentour, n’était plus que lotissements uniformes ou futurs ensembles anonymes ! Ils y vivaient heureux, toutefois, et avaient un réel plaisir à recevoir hebdomadairement, le samedi, leur fils et sa petite famille.

C’était encore là un aspect de cette routine où Dominique et Elisabeth s’enlisaient, au fil des ans, des dix années de leur vie de couple. Elisabeth n’en souffrait pas. Du moins ne le laissait-elle pas paraître. Elle avait le don de fourvoyer ceux qui cherchaient à la mettre au jour. Non qu’elle eût une intelligence supérieure à la moyenne des autres femmes, mais simplement parce qu’elle était jalouse de sa vie privée et de ses Sentiments. On ne pouvait pas lire en elle comme dans un livre gracieusement ouvert à la curiosité générale… Elle avait l’impression, par cette disposition de caractère, d’être le rempart qui protégeait son ménage contre les malveillances ou les coups du sort ! Peut-être était-ce dû à une naïveté un peu puérile, conséquence du fait qu’elle était encore bien jeune lorsqu’elle rencontra Dominique ? Sans doute aussi, idéalisait-elle à l’excès les rapports qu’elle imaginait devoir exister au sein d’un couple…

 

Chant I

Troisième Couplet

 Mais n’était-ce pas sans compter sur les faiblesses humaines et l’instabilité permanente des élans et des affections, dans une vie moderne de plus en plus pernicieuse à l’égard des êtres, les rejetant dans leur coquille, cultivant chez eux l’égocentrisme le plus violent ? Elisabeth, elle, avait le sentiment de « se réaliser » ainsi… Sa petite vie simple lui suffisait. Elle élevait leur fils de façon quasi parfaite, s’il pouvait exister une perfection en ce domaine… Son intérieur, son coquet appartement était toujours impeccable, et on la complimentait sans cesse sur son goût, et la fraîcheur avec laquelle elle savait agencer son mobilier. Il ne passait pas un jour, où l’on ne vit un bouquet trôner sur la table du living. Telle une fée aux doigts magiques, elle faisait d’un rien une merveille ! On pouvait, à juste titre, se demander ce qui avait pu rapprocher deux êtres si différents que Dominique et Elisabeth.

 

Lui n’était pas à l’image de son épouse, loin de là ! Autant elle était secrète et méfiante, autant lui était prolixe de toutes les petites choses, qui faisaient de sa vie une espèce de scénario, de ces mauvais films dont on devine aisément la trame, tant de ficelles étant grosses et mal nouées… Il aimait à «se raconter», auprès de ses copains, de sa Mère, surtout. Il ne pouvait garder pour lui ses chocs sentimentaux ou les menus événements qui parsemaient son existence ; sans doute ce besoin de faire participer autrui, dénotait-il chez lui un manque de confiance en lui-même ? Il fallait qu’il reçoive un reflet « en retour » de sa vie ! Cela le rassurait, donnait à ladite vie une dimension supérieure, en la partageant avec le plus grand nombre…

Ainsi, plus nombreux étaient ceux qui étaient mis au courant, plus il atteignait cette dimension sociale ! S’il l’avait formulée, Sa théorie sur la Quatrième Dimension aurait été ainsi exprimée : « Hormis les trois dimensions tangibles, chez l’Homme comme dans tout l’Univers, la Quatrième, celle qui avait une durée mesurable est la Renommée » ! Dominique croyait dur comme fer que plus longtemps on se souvient des Disparus, plus ils ont marqué leur époque…

Malgré tout, et si l’on veut bien descendre à son niveau d’entendement, il y aurait une légère imperfection dans cet échafaudage onirique. Il semblait manquer à Dominique quelque chose d’essentiel, de profondément nécessaire à son équilibre, et qu’il n’entrevoyait pas, même confusément ! Quoique… petit à petit…

 

Chant I

Troisième Couplet

Cela devenait un sujet de préoccupation permanente, une obsession. Il prenait soudain conscience de lui-même et cherchait à se mieux connaître, voire "reconnaître". Il se rendait compte qu'il avait, jusque là, vécu "à côté" de ce qu'il pensait être réellement. Il lui fallait se redécouvrir afin de vivre et non plus d'exister, pour sortir de ce que lui-même nommait sa "médiocrité" ! C'était sa façon personnelle d'idéaliser. Il avait horreur de la médiocrité. Il vénérait les grands hommes, les savants, les philosophes, et aurait  ressemblé, être un des leurs. Mais peut-être s'y était-il mal pris, dès le départ de sa vie ?
Etait-il trop tard ? Il aurait la volonté nécessaire à extirper, du fond de son être, les ressources qu'il avait jusqu'alors négligées... ou méconnues. Et Elisabeth, dans ce scénario idyllique ? Elle aurait "sûrement" sa place, pensait-il !

 

 

Chant II

Premier Couplet

Ce matin-là, comme à accoutumée, Dominique arriva au bureau avec un petit quart d'heure d'avance sur le reste du personnel. Il aimait bien se sentir seul quelques instants, et voir les employés arriver, plutôt que d'être lui-même un centre d'attention en entrant là, alors que tous étaient déjà au travail. Certains voyaient d'un mauvais œil cette manie, et l'interprétaient comme une malveillante sournoiserie. Non, Dominique n'était pas de cette espèce d'individus. Lui, qui était parti de la base de la hiérarchie, se tenait à l'écart de ce genre de pratiques. Il savait, pour y être lui-même passé, ce que signifiait, pour les employés de l'entreprise, la bonne entente commune et le respect des chefs vis-à-vis de leurs subordonnés. Il y avait bien quelques jaloux qui lui enviaient cette aisance et ce contact franc et facile ! Il n'en avait cure. Même le Grand Patron, Monsieur Dujardin, s'étonnait de cette faculté, jusque là méconnue de lui, que possédait Dominique. Il l'avait pris en estime, et, du jour où il lui avait confié ce poste de responsabilité, il lui avait aussi offert son amitié. Depuis; ils se tutoyaient et s'appelaient par leurs prénoms respectifs, René et Dominique. Leurs rapports n'en étaient tout de même qu'à un niveau de respect et d'entente mutuels.
Le seul vrai "copain" de Dominique était un agent de fabrication, contremaître d'atelier, avec lequel, dès le début, il avait sympathisé. André était ainsi le seul vrai camarade de Dominique. Ils se voyaient souvent, en dehors du travail, pour bavarder, déjeuner ensemble ou faire une partie de tennis.

Dominique était déjà plongé dans ses dossiers lorsque Monsieur Dujardin toqua à la porte vitrée de son bureau :

"Entre, André, fit Dominique, se levant et tendant une main franche dans sa direction.
- Bonjour Dominique ! Cela va-t-il comme tu le veux ? S’enquit René.

-      Oui, merci, et toi-même ?

-       Bien, bien... Dis-moi, trêve de banalités, il faut que nous fassions un point sérieux avant ton départ en vacances. Tu pars toujours vendredi ?

-       Oui, pas de changement au programme.

-      Bien. Peux-tu venir dans mon bureau avec les dossiers litigieux, ou préfères-tu que nous travaillons ici ?

-       Chez toi. Ce n'est pas bien encombrant... et si tu m'aides à les porter, on devrait pouvoir traverser la coursive sans trop de fatigue !

-      Parfait... Commençons-nous à travailler tous deux, ou faisons-noua un briefing

-      restreint avec les Chefs de Services ?

-      Je pense que nous en ferons plus à nous deux... Et puis, il y a des décisions urgentes à prendre, et toi seul...

-      Oui, je sais. Allons-y "La journée passa ainsi, augurant de ce qu'allait être la dernière semaine de l'année. Dominique eût-il tout juste le temps, à l'heure du déjeuner, de s'entendre inviter par André à disputer une dernière partie de tennis, en fin de journée. Ce qu'il accepta de bon cœur, car c'était toujours un moment privilégié pour lui que ces petits matchs avec André. Explication franche, une raquette à la main et l'esprit au repos, le corps tendu vers l'effort physique et la lutte avec soi-même...

Elisabeth lui avait fait les recommandations d'usage, lorsque Dominique lui avait suggéré qu'André l'inviterait probablement à jouer au tennis. "Ne rentre pas trop tard", "penses que nous devons préparer notre départ", etc... Le genre de choses qu'on a horreur d'entendre marteler à longueur d'années, et devraient être entendues une fois pour toutes. C'était en tout cas l'avis de Dominique...

Il retrouva André dans le vestiaire du Club...

André avait l’air de quelqu’un de disposé à pourfendre son adversaire ! Il faisait d’impressionnants moulinets avec sa raquette.

« N’as-tu rien remarqué, Dominique ? fit-il, en continuant à gesticuler, l’air mystérieux.

-              Oui, tu as une nouvelle raquette, répondit Dominique sans même lever les yeux.

-              Ben, toi alors ! Tu as un sacré coup d’œil ! Penses que je la laisse traîner depuis trois jours à la maison, et que personne ne l’a encore vue…

-              Est-ce que toi-même tu prêtes attention à ce que l’on essaie de te montrer ?

-              Oh, ça va… Monsieur le Curé ! Recommence pas tes prêchi – prêchât, et viens plutôt jouer… Dépêche-toi, je t’attends de pied ferme ! »

 

Trois sets plus tard, les deux amis étaient accoudés à une table de la buvette, sirotant un rafraîchissement à grands coups de paille, entrecoupés de halètements poussifs et bruyants.

 

«  On n’a plus vingt ans, hein ? lança André.

-              C’est toi qui le dis… Pour moi, cela va plutôt bien !

-              C’est ça ! Dis-moi aussi que tu aurais tenu un set de plus !

-              Faut voir…

-              Chiche ! On remet ça ? Je m’arrange avec le responsable, et on dégotte un court libre… On fait une revanche, OK ? »

 

Dominique ne répondit pas. Son attention venait d’être attirée par un couple qui terminait une partie, et s’installait à côté d’eux… André suivit son regard, et se leva d’un bond en interpellant les nouveaux venus :

 

« Bob, Françoise ! Quelle surprise. Venez donc vous installer à notre table, afin que je puisse vous présenter Dominique… « 

Tous trois se firent les politesses d’usage, et se rassirent sans mot dire.

« Eh bien, dit André, si j’avais su que vous étiez là, je vous aurais proposé un double semi-mixte ! On se serait marré… Vous savez, Dominique possède un redoutable revers gauche, doublé d’un coup droit hors paire ! C’est simple, il vient de me prendre trois sets à rien…

-N’ exagères pas, André. Tu vas me faire passer pour ce que je ne suis pas. En réalité, André n’était sans doute pas dans un bon jour », ajouta Dominique en regardant tour à tour Bob et Françoise.

Ceux-ci n’avaient pas encore pris la parole, et Dominique ressentit d’emblée une gêne inexplicable. Il en comprit la raison lorsqu’André les présenta plus en détails :

 

« Ah, je manque à mes devoirs les plus élémentaires. Robert, Bob pour ses amis, et Françoise sont de vieux habitués du Club. Je les ai connus avant que tu ne te décides à venir y jouer. Ils travaillent tous deux au CNES, à Rangueil. Bob est Chercheur, en Physique nucléaire, je crois, c’est cela, Bob ? Et Françoise est Maître-assistant en Faculté et Chercheuse à ses heures. Votre spécialité, déjà ? – fit-il à l’adresse de la jeune femme.

- La physique nucléaire, aussi ! – répondit-elle »

 

André s’étendit longuement sur leur première rencontre, et dérapa sur des sujets plus scabreux dont Bob et lui devinrent vite les principaux dialoguistes. Dominique et Françoise, qui donnait l’impression de s’amuser des mimiques d’André, ne faisaient plus qu’écouter, sans vraiment s’intéresser à la joute oratoire. Dominique tentait d’observer Françoise à la dérobée. Cette femme provoquait soudain en lui un intérêt étrange. Elle était jeune, la trentaine environ, belle et mystérieuse, d’une beauté mystérieuse plutôt, qui n’apparaissait qu’en détaillant attentivement son visage.

 

Dominique avait toujours eu un faible pour les longs cheveux bruns, et ceux de Françoise étaient précisément de ceux-là ! D’autant qu’elle venait d’ôter son bandeau, et laissait sa chevelure flotter au gré du vent, comme pour mieux se rafraîchir de l’air ambiant poussé par une douce petite brise. Elle s’aperçut qu’elle était l’objet de cette analyse visuelle, et sourit à Dominique d’un air entendu… Malgré lui, ses yeux se portèrent sur les mains de la jeune femme, et y accrochèrent une alliance. Un fugace sentiment de déception passa dans l’esprit de Dominique, comme un nuage d’été, vite balayé par la raison. Il se demanda, avant de ne plus y penser, pourquoi la vue de cette anneau lui avait causé cet effet !

 

Chant II

Deuxième couplet

« Allez-y, mon vieux – fit Robert – Raccompagnez-la ! Mais je vous plains plus que je ne vous envie, C’est une bavarde de la pire espèce… Dans le fond, tu ne m’en veux pas, Françoise ? Cela m’arrange, dans un sens. Je crois que je vais en profiter pour aller faire un petit tour ailleurs ! »

 

Le regard de connivence, chargé de sous-entendu, échangé entre Bob et Françoise, qui sourit en réponse, rassura tout à fait Dominique sur les craintes qu’il fondait prématurément. Dans le fond, il semblait qu’il avait affaire là à deux personnages à l’unisson, qui se comprenaient sans avoir à échanger beaucoup de mots.

Il se sentit soudain libéré et heureux d’avoir à raccompagner Françoise. Une espèce de petite fierté s’empara de lui, qu’il réprima aussitôt.

 

« Bon ! Nous partons ? – questionna-t-il.

-      Allons-y ! – répondirent en cœur les trois autres – Le temps de prendre une douche…  - ajouta Bob.

Françoise s’installa sans mot dire à côté de Dominique, qui ne sut, à brûle-pourpoint, quel sujet de conversation aborder. Lançant le moteur de sa Renault, il toussota pour s’éclaircir la voix, et démarra enfin, en enclenchant le premier rapport.

 

« Ainsi donc, nous étions voisins et ne le savions pas ?

-      C’est ce qui a l’air d’être, je crois –répondit-elle en souriant – Et puis ne nous connaissant pas, comment aurions-nous pu ?

Dominique se mordit les lèvres. Ce n’était pas une très belle entrée en matière… Quel imbécile il faisait ! De quoi avait-il l’air, maintenant ? D’un niais, incapable d’attaquer une conversation convenable, avec des mots essentiels… Il se rendit compte qu’il faisait sans doute un complexe d’infériorité. Elle était de ces gens au bagage intellectuel considérable, qui effrayaient tant Dominique. Et pourtant, à la bien regarder, elle paraissait une femme comme les autres… Mieux que bien d’autres, s’avoua-t-il.

 

« Vous êtes donc mariée ? » – osa-t-il.

 

Aïe, deuxième gaffe… décidément, il s’en tirait très mal !

 

« Oui, à un écrivain. 

-      Un écrivain ! – fit Dominique qui se sentit encore plus ridicule.

-      Oui, et que vous connaissez sûrement… mais dont je tairai le nom. Il écrit sous un pseudonyme. Son véritable patronyme est Georges Grazioli. Et, comme vous pouvez le deviner, il est d’origine italienne. Ne me demandez pas son nom d’auteur. Je n’ai pas le droit de le révéler. Vous savez, ces « gens-là » ont leurs manies, et il ne faut pas y toucher ! »

 

Dominique nota la façon dont Françoise avait associé son mari à « ces gens-là », mais n’en tira pas de conclusion trop hâtive.

 

« Vous jouez souvent au Club ? – s’enquit-il

-      Oui, tous les mardis, mais je vous l’ai déjà dit tout à l’heure, me semble-t-il !

-      Oui, c’est vrai… suis-je bête. Mais vous avez une mémoire… »

 

Il se sentit sombrer dans les affres du ridicule. Il savait très bien, et le comprit sur le champ, qu’elle n’avait pas lancé cette information au hasard, tout à l’heure.

 

« Mon Dieu, non ! Il n’y a pas dix minutes, je vous l’ai dit, lorsque nous avons parlé de Bob et du fait qu’il m’amenait au Club tous les mardis… Dites-moi, Dominique, puis-je vous parler franchement ? »

 

Chant II

Troisième couplet

Dominique sentit le plancher de la voiture se dérober sous ses pieds.

 

« Oui, bien entendu !

-      Etes-vous timide, ou est-ce moi qui vous mets mal à l’aise ?

-      A vrai dire – Dominique se sentit rougir comme un adolescent – euh, je n’ai pas tous les soirs l’occasion de discuter avec une aussi jolie… une femme comme vous… »

 

Là, ça y était, il était le clown du spectacle ! Il aurait de loin préféré être à cent lieues de là. En plus de cela, Françoise fut prise d’un fou-rire à en faire pleurer tout un monastère ! Dès qu’elle put se calmer et se « reprendre en mains », elle s’aperçut qu’elle avait communiqué son hilarité à Dominique qui, ravi de l’aubaine, y déchargeait tout son mal-ressenti et y puisait des ressources pour rétablir la situation.

 

«  Cela fait du bien de rire – commença-t-il – surtout avec un benêt comme moi ! Suis-je stupide ! Après tout, c’est vrai, il ne devrait pas y avoir de difficulté, pour un homme, de dire à une femme qu’il la trouve belle et qu’il en est troublé ! Je suis troublé. Vous me troublez. Vous devez me trouver complètement idiot ?

-      Pas du tout, au contraire ! Il est si rare de rencontrer des gens aussi candides que vous l’êtes ! Ne vous vexez surtout pas. C’est un compliment que je vous fais là… Vous a-t-on jamais dit que vous aussi étiez un homme séduisant ? Vous êtes marié, vous aussi, je crois ?!

-      Oui, Elisabeth et moi le sommes depuis plus de dix ans. Et vous ?

-      Douze… depuis peu. Mais je crois que nous arrivons !

 

Dominique avait conduit machinalement, et se rendit compte qu’effectivement ils avaient atteint le Centre-ville de Toulouse. La circulation redevenait fluide sur la Place du Capitole, à cette heure-là. Relativement tardive car il n’était pas plus de vingt heures trente.

Sur les indications de Françoise, il s’engagea dans plusieurs rues et ruelles successives, jusqu’au moment où elle lui demanda de s’arrêter.

 

«  Voilà ! J’habite ici… Je suis désolée que le voyage ait été si court. Je vous remercie et vous dit à mardi prochain, peut-être ?

-      Non, hélas… Mardi prochain, je serai loin d’ici !

-      Vous partez ?

-      En vacances, en Bretagne. Près de Bénodet très précisément.

-      Je connais cet endroit, pour y être allée moi-même il y a quelques années. C’était d’ailleurs l’année de cette fameuse sécheresse, vous vous en souvenez ? C’était très inhabituel, pour les Bretons, d’avoir leurs pâturages plus jaunes que verts !

-      Oui, je m’en souviens très bien… Ne pouvons-nous nous revoir avant mon départ ?

-      Vous semblez plus hardi que tout à l’heure, jeune homme ! Mais, pourquoi pas ?...

-      Déjeunons ensemble demain midi ?

-      Oui, cela me va… Vers Midi !

-      Où ?

-      Où cela vous conviendra, je vous laisse le choix des armes ! »

 

Un ange passa…

 

 

Ils convinrent d’un petit restaurant que Françoise connaissait, et se séparèrent sur une poignée de mains interminable…

Dominique était tout guilleret lorsqu’il rangea sa voiture au garage et escalada les degrés menant chez lui, comme s’il ne touchait pas les marches !

Elisabeth était assise devant le téléviseur lorsqu’il entra…

 

« Bonsoir – lança-t-il e, s’approchant, décontracté.

-      Bonsoir ! – répondit Elisabeth en tournant la tête vers lui – Tu as l’air bien gai ?!

-      Oh, nous avons fait un match fantastique !

-      Qui a gagné ?

-      Cette question ! Moi, bien entendu…

-      Oui… bien entendu…

-      Gérard dort déjà ?

-      Oui, il n’a pas pu t’attendre, il tombait de sommeil… Moi aussi, d’ailleurs.

-      Pourquoi n’es-tu pas allée te coucher ?

-      Bof, je ne sais pas. J’avais peut-être envie de savoir de combien tu dépasserais ton retard coutumier !

-      Ah, bon, parce que maintenant tu contrôles mes horaires ? – fit brusquement Dominique, agressif.

-      Non, mais tu rentres plus tard que d’habitude ! Pourquoi ce ton agressif ? Tu trouves déplacé que je te fasse cette remarque ?

-      Non, non… Excuse-moi. Je dois être plus fatigué qu’il n’y paraît. »

 

La conversation s’en tint là, laissant en Dominique une impression de malaise profond qui l’empêcha de s’endormir avant le petit-matin…

 

Chant II

Quatrième couplet

Dominique n’attendit pas longtemps pour rappeler à Françoise leur déjeuner… Françoise fut précise quand à l’heure du rendez-vous. Dominique la retrouva à midi pile dans le petit établissement, en plein Centre-ville de Toulouse.  Ils s’installèrent à une table un peu retirée, et commandèrent un repas, sans toutefois trop s’attarder à choisir avec précision ce qu’ils allaient manger… Pour Dominique, l’important était de se trouver là, en face de Françoise. Elle-même semblait ravie de ce tête-à-tête.

 

Levant son verre devant lui, Dominique proposa un toast à leur rencontre, ce que Françoise accepta amusée…

 

« Parlez-moi un peu de vous, Dominique. Il me semble qu’hier c’est surtout l’inverse qui s’est produit ?

C’est vrai – commença Dominique – c’est surtout l’inverse, mais peut-être André vous a-t-il déjà dit beaucoup de choses sur moi ?...

Non, jamais ! Vous voyez, je ne connais André que depuis que nous jouons ensemble. Nos conversations se limitent à pas grand-chose, sur un court de tennis…

Oui, bien entendu… Mais que voudriez-vous savoir de moi ?

Je ne sais pas… Tout ! Enfin, tout ce que vous voudrez bien me confier.

Bon ! Alors, je m’appelle Dominique, j’ai trente ans, marié, père de famille…

C’est un curriculum vitae que vous me débitez là !

Il faut bien commencer par quelque chose…

Parlez-moi de ce que vous êtes, et non de qui vous êtes…

-      Un modeste employé qui…

-      Sous-directeur, vous appelez cela « modeste » !

-      C’est une question d’échelle ! Dans une plus grosse entreprise, je serais peut-être balayeur, technicien de surface comme on dit de nos jours !

-      Vous n’êtes pas sérieux… Bon, ensuite ?

-      Ensuite ? Je crois que cela va être très difficile. Si nous buvions un peu, avant ? L’alcool délie les langues… »

 

Le repas se poursuivit par une espèce de jeu du chat et de la souris, où chacun essayait d’amener l’autre à parler de lui. Françoise, autant que put en savoir Dominique au bout de quelques instants, était une femme totalement « libérée »… C’est-à-dire que Georges et elle avaient établi entre eux des rapports d’indépendance qui laissèrent Dominique pantois.

 

-      « L’amour et la vie sont-ils encore possible entre vous ? – osa-t-il.

-      Mon Dieu, oui ! Vous savez dans la mesure où deux êtres s’estiment et se respectent profondément, tout est possible entre eux ! Je vais vous dire une chose que vous n’allez peut-être pas croire. Georges et moi n’avons jamais eu d’aventure extraconjugale…      

-      Comment pouvez-vous en être certaine ? En ce qui vous concerne, fort bien, mais pour Georges !

 -      Je viens de vous le dire. Tout est une question de confiance réciproque.

 -      Vous sortez quand et avec qui vous voulez… Lui, en fait de même… et pour un homme, les « occasions » ne manquent pas !

 -      Vous me décevez un peu Dominique. Vous êtes bien comme les autres hommes ! Pensez-vous réellement qu’une rencontre, quelle qu’elle soit, doive toujours finir dans un lit ?

 -      Ben… - fit Dominique, coincé et se demandant où il allait.

 -      Croyez-vous, par exemple, que parce que nous déjeunons tous deux, nous allons forcément faire l’amour tout de suite après, ou plus tard ?

 -      Non, évidemment ! Ne vous méprenez pas sur mes intentions… Je ne vous ai pas invitée pour parvenir à je ne sais quel dessein sordide – Dominique savaient les choses très mal engagées.

 -      Je ne vous donnais qu’un exemple. Ne vous formalisez pas. J’ai la nette impression que je peux vous faire confiance. Vous ne semblez d’ailleurs pas ressembler à ces « autres » hommes dont je parlais…

 -      C’est me faire bien des honneurs. Je ne suis pas un Saint ! J’ai eu, moi aussi, mes petites faiblesses passagères…

 -      Des « maîtresses ?

 -      Une, une seul fois. Mais c’est fini depuis fort longtemps !

 -      Je ne vous demande pas de précisions. D’ailleurs, je m’en veux de vous avoir posé la question. Cela ne me regarde pas. »

 

Tous deux échangèrent ensuite leurs idées sur des sujets les plus divers et banals,

de ces conversations anodines où l’on découvre, plus ou moins, chez l’interlocuteur, des

goûts ou des besoins identiques ou parfaitement contraires ! En ce qui les concernait,

Françoise et Dominique se rendait bien compte, au fil des mots et du temps qui

passaient,  qu’ils avaient, en fait, une multitude d’idées communes et complémentaires.

Leurs goûts et leurs besoins s’affirmaient comme étant fréquemment les mêmes… Cela

les enchantait, et Dominique admit que c’était la première fois de sa vie qu’il avait

rencontré quelqu’un avec qui il partageait tant de choses !

Ils se séparèrent enfin, se promettant de se revoir dès le retour de Dominique.

Françoise avait déjà pris ses congés le mois précédent. Dominique eut le fugace

sentiment que ses vacances en Bretagne allaient lui paraître très longues…

 

La semaine s’acheva, comme elle avait commencée, en un train-train que Dominique

supportait de plus en plus mal. Ce départ était une excellente façon de rompre avec

le quotidien. Elisabeth exultait. Elle aussi avait envie d’autre chose que ce que les

onze mois passés lui avaient apporté de monotonie et de « déjà vu »… Elle semblait

avoir oublié la petite altercation du mardi soir précédent, et Dominique n’y pensait

plus lui-même. Ils avaient été tous deux très affairés aux préparatifs du départ, et

n’avaient pas vraiment eu le temps de partager de longues conversations. Quoi qu’il en

fût, ils partirent très tôt, le samedi au petit matin, alors que la ville s’éveillait à peine

aux premières lueurs de l’aube.

 

 

à suivre...

 

Signature 4

 

 

 

 

 

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